LES SUPERSTITIONS ET LA MORT
A l'évidence, il semble bien que cette évocation idyllique de
l'autre monde était loin d'enchanter les vivants. On craignait la mort et on
était prêt à accepter toutes les superstitions, pour retarder, sinon éviter sa
visite. Il y avait les présages, signes inéluctables annonçant qu'elle était
proche et il y avait les mille et une choses auxquelles il fallait prendre
garde pour entraver son œuvre.
"Tu ne connaîtras ni le jour, ni l'heure" dit
l'Evangile.
Et pourtant, pour connaître la date du moment fatal, tout bon
chrétien inquiet de son devenir était prêt à réciter pendant quarante jours les
oraisons de Sainte Brigitte, seule condition pour en être informé. Il ne
restait plus alors qu'à s'armer de patience.
Trois jours avant de trépasser, la personne recevait la visite
de la Vierge qui lui donnait l'heure précise du départ pour l'au-delà.
Lorsqu'un oiseau nocturne chantait sur le toit ou à proximité
d'une maison, ou si une pie voltigeait autour d'une habitation, c'était signe
de mort.
Le hululement de la chouette surtout, terrorisait les habitants.
Pour conjurer le sort, il
fallait la tuer et la clouer en croix sur la porte de grange en disant "Oiseau
de malheur, tu pourriras sur le gibet de l'infamie".
Un chien qui hurlait lugubrement pendant la nuit, présageait la
mort de quelqu'un dans le voisinage.
Un frappement nocturne annonçait une mort prochaine dans la
famille, certains disaient même que la mort frappait quand le coup
retentissait.
Au château de Montbéliard, le spectre de la dame blanche apparaissait
chaque fois qu'un des membres de la famille princière allait mourir. Des
gémissements se faisaient entendre au long des couloirs et ne cessaient que
lorsque la mort avait frappé.
Lorsqu'un coq chantait
avant minuit ou s'il pondait un œuf, ou si une poule chantait comme un coq,
c'était encore un signe de mort dans la maison, sauf si on tuait à l'instant le
coq ou la poule pour conjurer le sort, en disant :
Poule qui chante,
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Prêtre qui danse,
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Fille qui s'enivre,
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Ne sont pas dignes de vivre.
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En revanche, pour certains, un coq noir ou un chat noir
pouvaient porter bonheur.
Si dans une maison on ne pouvait, pour une quelconque raison,
garder de tels animaux, c'est qu'elle était maudite.
Une telle superstition n'avait-elle pas pour but de conjurer le
sort ?
En effet, la plupart des gens, et pas seulement en
Franche-Comté, craignaient le chat noir.
Au moyen âge, on en brûla
comme sorcier un si grand nombre que dit-on, Dieu sans sa grande bonté les
marqua, en quelque endroit du pelage, d'une tache blanche qu'on appela le
"doigt de Dieu".
Le chat qui portait cette marque était alors épargné par la justice
des hommes.
Si la constellation appelée "chariot de David",
paraissait s'arrêter au-dessus de la maison d'un malade, c'était signe de mort.
Si un corbeau se perchait sur la croix du clocher, un
ecclésiastique mourrait prochainement.
Le jour de la chandeleur (purification de la Vierge) les
Bisontins rapportaient de l'église un cierge allumé, puis le tournaient trois
fois autour d'eux en prononçant "Lumen ad revelationem gentium".
S'ils oubliaient, il y avait un risque de mort dans la famille.
C'était une pratique et une croyance que l'on rencontrait un peu
partout dans la province avec de légères variantes.
Les vieux surtouts y étaient attachés et pour rien au monde ils
n'auraient voulu manquer la messe ce jour-là, car "Celui qui le rapporte
allumé, pour sûr ne meurt pas dans l'année". Et ils bénissaient enfants et
domestiques afin que tous profitent de la grâce.
Dans le baillage de Vesoul, on était persuadé qu'un éternuement
entre les deux élévations au cours de la messe, annonçait la mort prochaine
d'un parent.
Innombrables étaient les signes annonciateurs de mort.
C'était le temps de la lessive à la cendre; si le drap sur
lequel on déposait les cendres ne plongeait pas entièrement dans l'eau, ou, une
fois la lessive coulée, si on trouvait dans le cuvier du linge non imbibé, on
savait que la mort n'était pas loin.
De même si un arbre fruitier ou un chou refleurissait en
automne, ou si un meuble craquait pendant la nuit, si des tâches bleues ou
noirâtres apparaissaient sur les membres, le son étouffé d'une cloche, le bris
spontanée d'un verre d'eau, trois lumières allumées par hasard sur une table,
la miche de pain retournée, une salière renversée, une glace brisée, une chaise
que l'on fait tourner sur un pied, une pièce de monnaie que l'on fait tourner
sur sa tranche, une cuiller et une fourchette formant croix sur une assiette,
tout cela annonçait une mort imminente.
Une vache qui mettait bas
deux veaux à la fois était de mauvais augure; pour conjurer le sort, on vendait
précipitamment l'animal.
La mort appelait la mort.
Quand le défunt ne
prenait pas la raideur cadavérique, cela signifiait que bientôt l'un de ses
proches descendrait à son tour dans la tombe.
Il fallait se garder
d'allumer une bougie ou une chandelle à la flamme du cierge qui brûlait près du
lit d'un mort ou près du cercueil, certains affirmaient qu'on acquérait ainsi
le droit de suivre immédiatement le mort dans l'autre monde.
Quand une agonie durait
trop, il fallait vider les oreillers contenant des plumes de pigeon, car elles
étaient réputées pour prolonger l'agonie.
Dans certaines communes comme Louhans, quand on inhumait le
vendredi, on veillait à ce que l'enfant qui portait la croix processionnelle
n'entrât pas dans la maison mortuaire, mais restât devant la porte à attendre,
car sinon une autre personne risquait de mourir la même année dans cette même
maison.
Le dicton était formel : "Si la croix va dans une maison le
vendredi, elle y retournera dans l'année". Ailleurs, on disait que c'était
la rue toute entière qui était menacée de mort.
Dans d'autres villages, quel que fût le jour, la croix ne
pénétrait jamais dans la chambre mortuaire.
On sortait toujours le corps du défunt les pieds en premier,
puis on brûlait la paille de son lit à un carrefour où se dressait une croix,
ou à la croisée des chemins. Il ne fallait surtout pas employer cette paille
comme litière, sinon le bétail risquait de périr.
Dans certains villages encore, dès qu'une personne mourait, on
s'empressait de verser dehors toute l'eau qui se trouvait dans la maison afin
de libérer l'âme du défunt.
On croyait en effet qu'au
sortir de son enveloppe matérielle, l'âme cherchait un récipient d'eau pour se
purifier avant de paraître devant Dieu.
L'eau était donc souillée par ce passage.
Une fois au cimetière, le mort pouvait encore être une menace :
que la terre d'une tombe fraîchement comblée se creusât, était encore un signe
de mort.
Le matin en se levant, il importait de regarder où l'on mettait
les pieds, si par hasard on les posait sur une croix formée par deux brins de
paille, c'était à nouveau un présage sinistre pour la famille.
Mais selon les villages,
cette malencontreuse croix pouvait tout aussi bien être annonciatrice d'un
héritage.
Dans les terres de la grande judicature de Saint-Claude, s'il y
avait trois mariages à la fois, aucun couple ne voulait prendre la place du
milieu qui portait malheur.
Ailleurs, on disait que
c'était les premiers mariés qui emportaient tout le bonheur.
Dans la région de
Montbéliard, on évitait de se marier un jour de neige.
Il était imprudent de changer de chemise un vendredi. Si on
tombait malade dans le vêtement propre, on risquait de ne pas guérir et d'en
mourir.
Si l'on faisait la lessive un jour de rogations, le maître de
maison mourrait dans le cours de l'année.
Dans certains endroits,
on ne faisait pas la lessive le Vendredi-Saint, parfois même durant toute la
semaine sainte, ainsi qu'à l'Ascension, durant la semaine des communions
solennelles, aux Quatre-temps et le samedi, craignant de provoquer le décès du
chef de famille, ou tout au moins une maladie grave pour quelqu'un de la
maison.
Un proverbe disait :
Echaipai (laver) lai bue (la lessive) lou sambedi
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Ca raicoutch (raccourcit) lai vie di mairi (la vie du mari)
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Echaipai lai bu lai semaine de l'Oscension
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Tire lai biere (fait mourir) di maître de la mâson.
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Il ne fallait pas monter sur les arbres le jour de la Saint
Henri (15 juillet).
La chute suivie de mort
de l'un des ouvriers ou manœuvres occupés à la construction d'une maison était
de mauvais augure pour l'un ou l'autre des membres de la famille qui occuperait
la maison.
Dans certains villages, le maître charpentier, avant de poser la
charpente, faisait agenouiller tous ses ouvriers et récitait avec eux cinq pater
et cinq ave en l'honneur de Saint Joseph patron des charpentiers, afin que
celui-ci les protégeât de tout accident aux cours des travaux.
Durant la nuit de Noël, dans certaines régions, on disait que bœufs,
vaches et ânes conversaient ensemble à voix humaine, un privilège que Dieu leur
accordait pour les remercier des soins affectueux qu'ils avaient prodigué à
l'enfant Jésus.
Quiconque osait espionner
ces conversations mourrait sur le champ.
Une légende racontait
qu'un paysan osa braver l'interdit. Il entendit alors le bœuf roux dire au bœuf
blanc :
"Nous enterrerons
notre maître demain". le paysan furieux et espérant conjurer le sort s'en
fut chercher un couteau à la cuisine dans l'intention de saigner ce bœuf de
mauvais augure. Mal lui en prit ! En revenant à l'écurie, il trébucha, tomba et
se plongea le couteau dans la poitrine. Le lendemain, la prédiction du bœuf se
réalisa, on enterrait le maître de maison.
Dans certains villages, le curé faisait distribuer le Jeudi
Saint et le Vendredi Saint à tous les habitants, des hosties non consacrées.
On les conservait dans
des livres, dans des armoires, on en détachait de petits morceaux pour cacheter
les lettres, cela portait bonheur.
A certains endroits, on ne laissait pas la crémaillère sans
marmite quand il y a grand feu dans l'âtre, car on ferait souffrir inutilement
une âme du purgatoire.
Les rêves aussi pouvaient être annonciateurs de maladie ou de
mort.
Ceux faits durant l'avant se réalisaient presque toujours.
Rêver d'un bain dans de
l'eau trouble présageait une grande affliction prochaine.
Rêver que l'on cueillait
des mûres ou des cerises noires annonçait la mort prochaine d'un membre de la
famille.
Rêver qu'un malade
décédait, prolongeait sa vie de dix ans, rêver qu'il était guéri, c'était au
contraire hâter sa fin.
Entendre quelqu'un vous
appeler en rêve et lui répondre était présage de deuil.
Prendre pour marraine une femme enceinte, c'était risquer de
voir mourir l'enfant qu'elle avait tenu sur les fonts baptismaux, ou l'exposer
elle-même à perdre, dès les premiers jours de son existence, son propre bébé.
A un petit enfant qui pénétrait pour la première fois dans une
maison, on offrait un œuf et un petit cornet de sel, pour lui porter chance.
Superstitions et pierres étranges
Blocs épais, rochers creux qui servent, dans l'orage,
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D'enclumes à la foudre et d'urnes pour les eaux;
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Dômes en boucliers sur quoi fond le nuage,
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Tombes, menhirs, autels, étraves de vaisseaux,
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Pylônes élancés, colonnes triomphales
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Plus grosses que des tours, pyramides, remparts,
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Trônes, gradins, créneaux, flèches de cathédrales ...
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(Albert Mathieu, 1919)
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Faut-il inclure les étranges amoncellements de pierres, les
bizarres alignements de roches dressées, les "dents" isolées dans les
forêts, aux versants des monts, au bord des chemins, que les érudits du XIXe
siècle assuraient d'origine celtique ?
Quelle était leur signification ?
De quels maux devaient-ils protéger les hommes ?
On en relève des quantités entre la Billaude et Morillon, comme
ailleurs à Andelarre en Haute Saône, dans la forêt de Chailluz, du Saulçois, de
Gourvaux, de Roche les Clerval dans le Doubs ...
Chaque fois qu'un voyageur ou un paysan passait à proximité, il
ajoutait une pierre en récitant quelque prière.
La plupart de ces tertres
ont été remplacés par des calvaires ou des oratoires.
Et la superstition s'empara même des croix de pierre.
Entre Dole et Tavaux,
proche du village de Saint-Ylie, se dressait sur le bord de la route une
vieille croix couverte de mousse et de lichens, avec un christ gravé sur les
deux faces.
Tous les cents ans, à
minuit, la croix effectuait un demi-tour sur elle-même avec la colonne de
pierre qui la supportait.
Dans la paroisse de Saint-Claude, à un quart de lieue de la
cité, se dressait une croix de pierre.
La base en était percée de part en part. Les passants faisaient
passer une pierre par ce trou pour être guéris du mal de ventre.
En 1756, le trou a été bouché.
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